Ma petite maman chérie,
Comment trouver les mots pour écrire qui tu étais, et tout ce que je te dois ?
Comment trouver les mots, alors que nous pouvions nous passer de mots ?
C’est tout ton être qui m’a relié au monde depuis toujours.
Quand je pense à toi, je sens ma main dans la tienne, toujours. Nous marchons des heures quand je suis petite fille, dans les campagnes de la Lozere ou dans les rues de Toulon, quand nous faisons le marché tous les mercredis matin, entre la barraque de chichi frégi et le port. Ta main dans la mienne, toujours. Ta main dans la mienne les nuits où petite fille j’étais malade. Ta main dans la mienne jusqu’à ta dernière journée sur cette terre.
Quand je pense à toi, je vois la douceur de ton regard, la douceur de ta voix, la douceur de tes bisous.


Je sens le creux de ton épaule sur laquelle je me suis reposée, jusqu’aux derniers soirs, à la maison, quand épuisée tu tenais à préparer à manger, à partager avec moi un plateau repas, avec moi, tout contre moi. Tu tenais à prolonger les moments familiaux qui ont fait, pendant plus de cinquante ans, notre bonheur. Que ne donnerais-je pas pour partir faire les courses avec toi, avant d’entreprendre la longue préparation d’un repas de famille joyeux, en écoutant ensemble la musique à tue-tête dans la cuisine, tout en discutant à batons rompus ?

Tu as eu une enfance difficile, douloureuse même. Mais tu t’es toujours battue.
Tu es la personne la plus courageuse que je connaisse, et tout à la fois la plus révoltée et la plus douce.
Révoltée, tu l’es. Totalement autodidacte, j’ai rarement vu quelqu’un analyser comme toi les injustices du monde, et revendiquer une forme d’anarchisme et de colère parfaitement légitimes.
Mais infiniment douce, tu l’es aussi. Tu es la personne la plus bienveillante, la plus généreuse qu’il m’a été donné de connaître. Trop, peut-être, jusqu’à l’abnégation. Ton amour pour ta famille était sans limite, et tes valeurs allaient bien au-delà.
Et tes talents aussi. Parce que ta dislexie et tes malheurs d’enfance t’avaient valu de quitter l’école bien trop tôt, tu te sous-estimais souvent, toi la si belle petite blonde aux taches de rousseur et aux aux yeux bleus magnifiques.


Des talents, tu en avais beaucoup. Je n’ai jamais vu quelqu’un capable d’identifier en quelques secondes le nom d’un pianiste, d’une cantatrice ou d’un ténor. Tu n’as pas étudié la musique, et pourtant ta sensibilité était stupéfiante. Tu aimais dessiner, tu aimais lire. Un jour, j’ai découvert que dans ma chambre, à la lumière du soleil, tu lisais mes articles et les comprenais mieux que moi. Et à la montagne, tu gambadais sur les sentiers les plus difficiles en sandales compensées à cordes, quand papa et moi peinions péniblement derrière toi malgré nos grosses chaussures de marche.



Mais le plus grand de tes talents, c’est l’amour. Tu as toujours été une source intarissable et totalement désintéressée d’amour.
Cette belle dernière après-midi que nous avons partagée, tu te souciais de savoir si j’étais bien assise, si j’avais froid, si j’étais bien…
Mais ma maman, j’étais bien, tout simplement parce que j’étais avec toi.

Tu avais toujours peur d’en faire trop, peur de m’étouffer, alors que tu es juste la maman que j’ai choisie d’avoir, j’en suis certaine.
« Et moi je t’adore mon chaton », disais-tu souvent. Et moi je t’aime à l’infini maman.
J’espère que pour toujours, tu marches aux côtés de papa qui te manquait tant, dans la lumière que tu as toujours su créer autour de toi. Et j’espère que tu es là. Et j’espère te retrouver.