Maman, tu es restée avec papa jusqu’au bout. Puis avec moi tant que tu as pu. Tu m’as consolée, tu m’as expliqué des choses, tu m’as accompagnée dans les premières démarches, nous avons savouré la douceur d’un dernier café au soleil, d’un jus de fruit sur le port, de quelques soirées supplémentaires blotties l’une contre l’autre, un petit plateau repas sur les genoux, devant la télé. Nous avons savouré les derniers calins, les derniers mots d’amour, les dernières joies de mettre la table ensemble ou de regarder les petits oiseaux voleter dans le massif, devant la maison. J’ai savouré malgré mon chagrin le dernier sommeil d’enfant, le sommeil si tranquille de celle qui sait que sa maman dort encore dans la chambre à côté.
Mais papa te manquait beaucoup trop. Nous avons été trop heureux, vous étiez trop soudés, trop amoureux.


Ton départ si brutal pour moi a été un choc supplémentaire. Je ne sais comment m’en remettre. Mais en rentrant de la maison, où j’avais emporté une liasse de lettres datant du temps de vos fiançailles, je vois une lettre insérée dans le tas, sans son enveloppe. Cela me donne le courage de la lire sans me sentir trop intrusive. C’est la dernière lettre que papa t’a écrite avant votre mariage. Elle date d’avril 1968 et s’achève par un poème, dont les deux strophes finales sonnent pour moi comme une réponse que vous m’adressez :

Je vous vois aujourd’hui « main dans la main », dans la lumière. Et peut-être que vous veillez encore sur moi. Et j’espère que nous nous retrouverons.