La semaine dernière, pour la dernière fois, j’ai vu les tortues déambuler tout à leur aise dans le jardin. Images même du Sud, de la douceur de la vie.
Pour la dernière fois, j’ai répété des gestes d’antan. Les jardiniers viennent s’occuper du jardin. Timide et Futé sont mis à l’abri dans leur petite boîte. Visiblement, Timide n’est pas bien embêté. Le printemps arrive, la salade est fraîche. Images même du Sud, de la douleur de la vie.
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Un matin, j’ai ouvert les volets de ma chambre avec un sentiment d’étrangeté, un curieux exotisme, l’impression que je n’ouvrais pas les volets de bois de notre maison bien urbaine, un pavillon en lisière de Toulon, mais les volets de bois d’un petit mas provençal, le regard frappé par la blancheur du soleil et du ciel avant que mes yeux s’acclimatant en voient le bleu profond; juste en face, la trouée de la route permettant au regard de se dérouler vers Notre Dame du Mai. Et en route, quelques grands pins pour scander l’horizon. Et dans le jardin, le long du mur, Futé se promène, tout tranquille, sorti des buissons, commençant sa journée. Je ne me souvenais pas qu’il était si grand, désormais. Je me souviens encore de la toute petite tortue née dans un jardin voisin, il y a plus de trente ans. Aujourd’hui, c’est un gros caillou avec une petite bouille de tortue, qui se promène dans le jardin.
Mais comment la laisser dans ce jardin où je ne sais pas trop ce qui va se passer ?
Egoistement, j’aimerais bien les garder. Mais que feront-elles, seules par intermittence ? Est-ce raisonnable ? C’est curieux de se poser ces questions. Après tout, ce ne sont que des tortues. Quelqu’un à qui j’en parlais m’a dit que c’était bien de “se séparer des objets”. Mais ce ne sont pas des objets. Ce sont de petits êtres, et ces petits êtres ont accompagné nos vies pendant plus de trente ans. Et aujourd’hui cela me rend presque aussi triste de le regarder que de les donner, même si les donner fait venir des larmes, et que ces larmes sont douloureuses.
J’ai regardé Futé prendre ses marques sur une terrasse aixoise. Je l’ai caressé une dernière fois, je l’ai filmé avec tendresse, bien consciente qu’il est absurde d’infliger à un animal des va et viens dans une boite en carton, des vas et viens entre terrasse et jardin.
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Pourtant, égoistement, j’aimerais bien les garder. Les regarder vivre, c’est un peu l’illusion que le fil n’est pas coupé. Je me souviens d’un Futé de 4 cm de long nous faisant rire après un repas de famille, auquel participaient encore mes grands-parents. Je me souviens de Futé tout petit coincé sous un pot où j’avais eu l’idée de le chercher, après des heures de quête inutile. Sa coquille était encore malléable, peu à peu la déformation est passée, mais il est resté une écaille marquée d’un trait diagonale. Chaque petit être est unique. Je me souviens de Timide, que mon directeur de thèse m’avait donné car ses filles n’en voulaient plus, et dont le calme contrastait avec l’exubérante énergie de son camarade de jardin.
Timide appartient désormais à un petit garçon de 8 ans. Et Futé à une jeune fille de Bouc Bel Air, qui m’en enverra parfois des photos, et me dira si tout se passe bien.
Et je ne sais toujours pas si c’est en les conservant sans mes parents, ou en leur donnant une nouvelle vie ailleurs dans une famille pleine de joie, que je peux maintenir le mieux le fil de la vie. Ni l’un ni l’autre, sans doute. Et je repense à Futé, magique petite chose dans un jardin si familier, et qui pendant une fraction de secondes m’est apparu encore plus étrange parce qu’il était là.
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